
De l’enfant illégitime à l’enfant d’amour : évolutions sociétale et morale
Mes divers travaux généalogiques ont mis en lumière qu’une période historique fut plus intense en terme de naissances illégitimes et j’ai cherché à savoir « pourquoi » ?
J’ai beaucoup investigué les campagnes mais en travaillant sur les anciens départements de la Seine, Seine-et-Oise, le Bas-Rhin, la Saône ou encore l’Indre-et-Loire et le Nord-Pas-de-Calais , il m’est apparu une recrudescence de naissances dites « illégitimes ». Ce faisant, en étudiant les archives, je fis le constat que ces jeunes mères, pour la plupart, étaient journalières, domestiques mais aussi ouvrières. De plus, leurs conditions de vie ainsi que certaines décisions successives pour un meilleur lendemain, me donnaient-là quelques indices pour comprendre le phénomène.
Vous me direz que l’Histoire n’est pas avare en terme d’actes de naissances ou de baptêmes d’enfants illégitimes au cours de l’Histoire, pour preuves : les déclarations de grossesses.
Tandis que les actes signifient implicitement que mademoiselle s’est amourachée d’un séducteur abandonnique ou qu’elle est enceinte d’une relation non consentie, revenons sur les évènements qui menèrent les mœurs et les Lois a évoluer.
Qu’appel t-on un enfant illégitime?


Auteur : Vermeil, François-Michel (1730-1810). Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, F-45965.
De prime abord, un enfant illégitime est un « bâtard ». Voilà comment l’opinion publique dénonce la faute, le pêché ultime d’un homme et d’une femme ayant consommé, sans être mariés, le fruit du pêché. Aujourd’hui encore, ce terme péjoratif est encore une insulte fréquemment employée, c’est dire … Mais remontons un peu l’histoire.
Par naissance illégitime on veut bien sûr parler d’enfant né « hors mariage ». Ces enfants sémantiquement qualifiés de « naturels » ou encore nés de « père inconnu » ou « de père non dénommé » en bref, nés d’un couple non marié en opposition à la filiation légitime d’un couple rentrant dans les clous de la société à l’époque : « de naissance conforme au droit ».
Avant la Révolution, les enfants naturels étaient exclus juridiquement de la famille : « aucun lien de droit ne les rattache à une parentèle quelconque » [1] -> la bâtardise ne reçoit ni ne lègue aucun héritage patrimonial symbolisant de fait, la faute de leur parent.
La fabrique du Code Napoléonien et la Loi du 12 Brumaire an II, vise à intégrer les enfants naturels dans les familles; du moins, ceux dont les pères veulent bien en reconnaitre la naissance puisqu’en parallèle, cette même Loi abrogent la recherche de paternité que la déclaration de grossesse permettait et ainsi, l’obligation alimentaire (droit de gésine).
Le Code Civil de 1804 aux mœurs bourgeoises et conservatrices, fonde donc la filiation légitime sur le mariage : « Pater is est quem nupti demonstrant » = le père est celui que le mariage désigne. Retour en arrière vis à vis du statut de la femme :
Il faut attendre 1912 et 1972 en France pour que la réforme du droit de filiation harmonise les inégalités.
Historique du XIXe siècle
La France du XIXe siècle est encore très rurale et peu urbanisée. Néanmoins, on observe trois périodes de croissances démographiques (Barjot, Chaline, 1995):
- 1. 1815-1851 : forte progression
- 2. 1851-1872: ralentissement
- 3. 1872-1914: déclin
Le tableau de Jean-Pierre Baux (2014) nous informe sur les deux types de populations que l’on rencontre sur le sol Français, indiquant par la-même, l’accroissement de la population ainsi que ses mutations géographiques.

La population rurale et la population urbaine en France (Données dans le périmètre actuel de la France métropolitaine ; population urbaine au sens de 2 000 habitants agglomérés). Baux, J. (2014)
L’accroissement de la population totale, entre 1820 et 1850, est de +16.2% quant la progression urbaine représente + 31%. On assite donc à une France qui s’urbanise de plus en plus ainsi qu’à l’apparition du prolétariat et ce, parce qu’elle s’industrialise, offrant ainsi du travail à plus d’un homme … et de femmes! En effet, la montée en puissance de l’industrie provient du charbon, de la fonte et de la vapeur (locomotive à vapeur, bateau à vapeur …). Le chemin de fer est l’accélérateur de l’urbanisation (surtout entre 1851-1876).
Paris sous le XIXe siècle, attire l’ensemble des Français. Sa population passe de 714 000 âmes en 1821 à 1 054 000 en 1846, ce qui représente un accroissement de + 47%, au moment où les campagnes assite à l’exode rurale de ses habitants. La période de 1840-1860 vit une accélération de la progression économique, on parle de grandes industries.
Cependant, entre le rêve et la réalité, entre l’espoir et la réalité plutôt, il y a un large fossé. Alors que les banlieues de Paris se remplissent d’ouvriers et de jeunes adultes en quête quasi libertaire, les conditions de vies sont misérables, les logements vétustes et l’hygiène à déplorer. De cette façon, les mariages sont moins fréquents, la mortalité urbaine dépasse la mortalité rurale et « le taux de natalité illégitime, de suicide, d’alcoolisme et de criminalité dépassent la moyenne nationale » (Ibid., 1995).
En 1853, alors que le libéralisme s’impose comme idéologie hégémonique, le Baron Haussmann sous l’ordre de Napoléon III, est chargé de moderniser la capitale. Grands espaces, grandes artères, grands immeubles bourgeois à la place des ruines et des ruelles insalubres et mal éclairées, bref on voit tout en grand et on pousse les petites gens vers les faubourgs et les banlieues, place aux cols blancs et à la haute bourgeoisie qui cherche à universaliser ses valeurs et son mode de vie.
L’attrait vers la ville
A vrai dire, le déplacement des populations rurales vers la ville à commencé dès le XVIIIe siècle. Le développement de l’industrie manufacturière (ex: les soieries de Lyon) ainsi que le commerce triangulaire des villes portuaires (Nantes, Bordeaux, Marseille) ont enrichie les villes d’une population nouvelle et engendré des transformations économiques et sociales. C’est en ville que l’on retrouve les notables, les artisans, les boutiquiers mais aussi l’aristocratie et la bourgeoisie. Comme il ne peut exister une chose sans son contraire, les villes regorgent également de mendiants mais on se hâte des les enfermer en hospice ou maison d’arrêt, maison de correction pour les mineurs, la mendicité et le vagabondage étant un délit.
De fait, c’est dans ce contexte que se développent « les lumières » au XVIIIe siècle et sa philosophie de l’accès à la liberté individuelle, à l’égalité des droits et à la liberté de pensée, en opposition à la monarchie absolue. Les villes détiennent alors les lieux d’éducations et les lieux culturels. On cherche a faire évoluer les mentalités et instruire les populations en vue de meilleurs conditions de vie, hygiène inclue, puis, a réduire l’influence de l’Eglise.
Alors que le nombre d’enfants par femme diminue ainsi que le taux de mortalité infantile, le nombre d’enfants illégitimes augmente. Qu’est ce que cela traduit des mentalités?
Conséquences de l’industrialisation et de l’urbanisation sur la natalité française
La préoccupation du sort de l’enfant a évolué en parallèle de la conception de la famille, du couple … Et de l’amour ! L’industrialisation et l’urbanisation ont favorisé l’émergence d’une nouvelle classe sociale : la classe ouvrière dite aussi, le prolétariat. La France bourgeoise et la France agricole comptent désormais une France ouvrière aux conditions de vie précaires. Dans ce contexte, la préoccupation morale et religieuse passe, pour cette dernière classe, après les conditions de survie et sa morale devient populaire.
C’est alors que depuis la seconde moitié du XVIIIe siècle, on assiste à l’explosion de naissances illégitimes en parallèle de l’essor industriel du pays. L’illégitimité se retrouve beaucoup dans le milieu ouvrier, mais n’exclut aucune autre couche sociale. La proportion est plus conséquente en ville qu’à la campagne (Blayo, 1975. Tugault, 1984). Dès 1830, la proportion de naissances illégitimes se stabilise jusqu’au XXe siècle, pour ensuite, en être banalisée.
Cela est donc le signe d’un changement de mentalité et d’une évolution du comportement de la famille.
Quand l’Ancien Régime faisait porter au père la bâtardise (voir les déclarations de grossesse), le Code Napoléonien fit régresser le droit de l’enfant et de la femme. Or, depuis les Lumières, on a choisie de prendre en charge la formation de sages-femmes, de diffuser des pratiques contraceptives, de considérer l’allaitement maternel, de réglementer l’activité des nourrices en somme, de se préoccuper de l’enfant et ses besoins mais surtout, de ses droits (Lebrun, 1986).
Malgré le fait que les relations hors mariage soient vues sous l’œil du déshonneur, l’évolution des mentalités tiennent compte des évolutions politiques, économiques et sociales. Dès la fin du XIXe siècle, le mariage se veut plus d’amour que du contrat entre famille. Désormais, on veut choisir son/sa partenaire et on veut décider du nombre d’enfant afin de lui permettre un avenir meilleur. La toute puissante paternelle tend à disparaître au profit de la co-parentalité qui prendra place bien des années plus tard (voir une petite histoire du mariage).
Le XIXe siècle est donc aussi l’essor du concubinage. On constate, selon les actes d’état civil, que le père de l’enfant naturel est davantage cité par exemple ou encore, que les parents vivent ensemble à la même adresse. La morale populaire met donc ses honneurs ailleurs que sur les dictats juridiques et religieux et, sollicite la société à progresser sur ses mœurs :
» l’immoralité » ouvrière, dénoncée avec véhémence par la bourgeoisie (…) Les ouvriers étant dépourvus de tout patrimoine et indifférents aux stratégies de statut social, s’engagent très tôt avec l’élu(e) de leur cœur d’autant qu’à dix-huit ans, le jeune homme gagne autant qu’un adulte. Se mettre en couple est dès lors chose naturelle ». (Sohn, 2001)
Conclusion
L’amélioration du niveau de vie qu’entraîne l’essor industriel a pour conséquence un taux de natalité plus faible (guerres, crises et maladies, mais aussi, contrôle de naissance) et des enfants nés hors des liens du mariage. Francis Lebrun affirmait en 1975 [2] que « l’illégitimité apparaît avant tout comme l’illustration de l’infériorité féminine » parce que le Code Napoléonien interdisait la recherche de paternité (réformée qu’au XXe siècle) et que la « faute » incombait à la femme de n’avoir pas su se faire épouser avant « le drame ». Heureusement, depuis, les femmes ont obtenu plus d’autonomie et de considération en somme, de droit et ce n’était pas trop tôt (à quel prix !).
Le constat que les usines ont favorisé l’exode rurale ainsi que l’apport de main d’œuvre puis favorisé le capital et le bien-être en parallèle des mentalités, s’est opéré longitudinalement. Toutefois, la natalité en milieu agricole n’a pas décliné durant ces mêmes périodes, les paysans vivant les mœurs chrétiennes puis républicaines ainsi que du système successoral.
Depuis, la théorie du déclin de la fécondité comme conséquence du progrès économique s’impose [3]. Aujourd’hui (heureusement), on ne parle plus d’enfant illégitime lorsque celui-ci naît hors union. L’évolution sociétale et morale a modifié la relation homme-femme et accepte l’amour libre sans que celui-ci ne soit officiellement une transgression des règles et de la morale, l’implicite dépend des choix et opinions de chacun. La société est plus soucieuse de la personne humaine et de l’enfant, hier illégitime, aujourd’hui désiré et choyé.
Sources
[1] Bart Jean. Les anticipations de l’an II dans le droit de la famille. In: Annales historiques de la Révolution française, n°300, 1995. L’an II. pp. 187-196.
[2] Lebrun Francis. La vie conjugale sous l’Ancien Régime. ed: Armand Colin. 1975.
[3] Diebolt Claude, Perrin Faustine. Le « paradoxe » démographico-économique, consulté sur https://www.aef.asso.fr/publications/revue-d-economie-financiere/122-demographie-et-finance/3424-le-paradoxe-demographico-economique, mai 2022.
Biblio
Baux, J. (2014). 1914 : une France démographiquement affaiblie. Population & Avenir, 717, 14-16.
Barjot, D., Chaline, J.P. (1995). Démographie et Société. in: La France au XIXe siècle 1814-1914. ed. Puf. pp. 51 – 90.
Blayo Yves. La proportion de naissances illégitimes en France de 1740 à 1829. In: Population, 30ᵉ année, n°1, 1975. pp. 65-70.
Lebrun François. La place de l’enfant dans la société française depuis le XVIe siècle. In: Communications, 44, 1986. Dénatalité : l’antériorité française, 1800-1914. pp. 247-257.
Tugault Yves. Les nouveaux enfants naturels et leurs parents. In: Population, 39ᵉ année, n°1, 1984. pp. 178-182.
Anne-Marie Sohn. Concubinage et illégitimité. Encyclopedia of European Social History, 4, Charles
Scribner’s Sons, pp.259-267, 2001. ffhalshs-00085842f