Eugène MOUREIL, journalier et Poilu d’orient

Eugène MOUREIL, journalier et Poilu d’orient

Tout d’abord, on va se mettre d’accord sur le sens du terme « poilu ». En effet, on a longtemps cru que ce nom provenait du fait que les soldats de 14-18 portaient la barbe par manque de soins mais, il n’en est rien. D’une part, parce qu’à première vue, sur les photos que l’on peut voir aujourd’hui, ils sont majoritairement bien rasés, tout au plus, ils portent la moustache et d’autre part, parce que barbe et masque à gaz sont incompatibles. Dans ces circonstances, force est d’admettre que le Poilu de la Grande Guerre tient cette dénomination de sa représentation d’homme viril. Poil viril = témérité CQFD !

Le Poilu d’Orient est un soldat qui a combattu non seulement sur les fronts européens de l’Est et de l’Ouest, mais aussi, sur le Front d’Orient ou autrement dit, dans les Balkans. On les appels aussi les soldats oubliés dû au fait qu’on les ait stigmatisés même durant leur expédition, notamment par Clémenceau qui les appelait les « jardiniers de Salonique » parce que mal ravitaillés, ils devaient procéder à la culture de salades bien qu’en plein conflit.

Maintenant que l’on connait la définition du Poilu, intéressons-nous à sa quête :

Comment et où rechercher son ancêtre Poilu

Tout d'abord, comme l'explique si bien mon confrère Genea-Logiques dont je vous suggère la visite,  établir le profil militaire à travers la fiche matricule de votre ancêtre est primordial (série R), par exemple aux Archives Départementales de Vendée :

1 R - Recrutement de l'armée (an IX-1942).
2 R - Organisation de l'armée (an VII-1960).
3 R - Anciens combattants et victimes de guerre (1792-1939).


Ensuite, le site en ligne Sources de la Grande Guerre nous renseigne grandement. De plus, ne pas hésiter à aller rechercher du côté des fonds des archives privées (série J) aux Archives Départementales ainsi que la presse ancienne.

A présent, je vous propose de découvrir le parcours d’un Poilu : Eugène Moureil

I. Rappel historique

1914, Etat de tension de la situation internationale : l’Europe prend feu

Les Alliances rivales (la Grande-Bretagne, la Russie et la France face à l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie), les conflits d’intérêts et les traités secrets divisaient l’Europe d’avant-guerre. En juin 1914, l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand, héritier de l’Empire austro-hongrois donne au gouvernement de l’empire le prétexte pour déclarer la guerre à la Serbie dès juillet de la même année : les auteurs de l’attentat, « Tchabrinovitch et Printsip sont deux jeunes Bosniaques donc Autrichiens depuis que la Bosnie fut annexée par l’Empire des Habsbourg en octobre 1908, mais serbes par la langue et le sentiment national » écrivait P. Renouvin en 1964 dans le journal Le Monde. Après une enquête menée par les autorités autrichiennes à Sarajevo, celle-ci affirme la complicité des autorités Serbes dans la préméditation et l’organisation de l’événement. L’Autriche veut donc sa vengeance sur la Serbie et lui envoie un ultimatum en dix points auquel la Serbie doit fournir une réponse dans la journée. Cette note exige de reconnaître les faits et demande un acte de contrition (se repentir). Également, le gouvernement autrichien entend bien s’immiscer dans la souveraineté serbe, ce qui représente alors une humiliation.

Dans les faits, l’ultimatum n’est qu’une formalité dont on présage la non-acceptation par les Serbes mais, ils l’acceptent. Hormis le 6e point, celui de l’immixtion. Le prince Alexandre de Serbie se soumet donc, mais mobilise ses soldats. Pour les Russes, cet ultimatum créer l’indignation et signe leur engagement aux côtés des Serbes; l’Allemagne rejoindra les Austro-Hongrois.

Le 28 juillet 1914, l’Autriche décide d’intervenir en Serbie. C’est ainsi que commence l’histoire de ce qui va être la Grande Guerre.

Carte symbolique de l’Europe. L’Europe en 1914. Guerre libératrice 1914-1915, 1914
B. Crété (dates inconnues) – BnF, Cartes et plans Ge D-29114 (RES)

La France sous les drapeaux

En France, l’opinion publique ne croit plus à la résolution pacifique de la crise en dépit de la fédération socialiste. Et tout va très vite! Le 31 juillet 14, au moment où l’on assassine Jaurès, l’état de « menace militaire » est décrétée en Allemagne, les troupes Austro-Hongroises viennent de livrer combat sur le sol serbe. La Serbie fait alors appel à la France et la Russie et, dès le 1er août sonne l’heure de la mobilisation générale des armées de terre, de mer et des colonies. On se prépare à la défense du territoire et à l’imminence de la guerre.

Affiche « Ordre de Mobilisation générale. Par décret du Président de la République » – Source : Gallica BnF

Le 2 août 1914, l’Allemagne met en place le plan érigé 20 ans plus tôt , le plan Schlieffen : « Plan qui préconise l’invasion de la Belgique, pays neutre, et la prise à revers de l’armée française, concentrée sur la frontière de l’Est » [1]. Ainsi, dès le lendemain, le 3 août, l’Allemagne déclare la guerre à la France et le 4 août, l’Angleterre à l’Allemagne.

II. Mobilisation militaire du peuple

Rochefort sur mer à l’heure de la mobilisation générale : rencontre d’Eugène MOUREIL

Eugène Moureil a 31 ans, Réserviste du 93RI passé au 3e Régiment d’Infanterie Coloniale (RIC) depuis le 1er avril 14, il est appelé sous les drapeaux.

Fiche matricule d’Eugène

Dans le civil, il est journalier à Sainte-Flaive-des-Loups en Vendée; il est marié à Clarisse avec qui ils ont deux petites filles, Marcelline 3 ans et Victoria Eugénie 10 mois.

C’est sur le quai de la gare de la Roche-sur-Yon, qu’Eugène photographie dans sa mémoire, le visage de ses femmes qu’il n’est pas prêt de revoir. Les yeux rougis et la gorge nouée, le train fait fi des états-d ‘âme de ses hommes et file en direction de la Charente pour Rochefort, lieu de garnison du 3e RIC. Nous sommes le 3 août 1914 et les hommes ne le savent pas encore mais, dans quatre jours, ils vont devenir acteurs de ce qui sera la Grande Guerre.

Août – Octobre 1914 : Campagne contre l’Allemagne en Intérieur

Dans la nuit du 7 au 8 août 1914, le 3e RIC sous les ordres du colonel Lamolle, quitte Rochefort s/Mer [2] le régiment file en direction de la Meuse où il arrivera le 10 après de très longues marches.

Itinéraire d’Eugène et du 3e RIC. Carte tirée de https://www.google.com/maps.

Le 26 août, le 3eRIC est dans la Marne et du 5 au 10 septembre, c’est le baptême du feu pour beaucoup, arrosés par l’artillerie ennemie. Eugène réussi à se défendre et à rester vivant en dépit des pertes humaines importantes.

Octobre 1914 – Juillet 1918 : Campagne contre l’Allemagne dans l’Armée d’Orient

Le 27 octobre 1914, Eugène intègre le 44e RIC, Armée d’Orient. Ce régiment s’est créé depuis le 24e RIC (composé de réservistes ayant servi en Afrique, dans les zouaves ou dans la marine) pour les besoins de la Guerre [3]. Eugène est donc balloté dans l’Argonne et esquive avec ses camarades, les attaques ennemies. Après avoir vécu la bataille de la Marne, Eugène s’apprête à connaitre celle de la Somme. Celle-ci lui laissera à vie une cicatrice puisque le 1er juillet 1916, lors d’un combat à Dompierre, il reçoit une balle dans la jambe droite. Mort ou vivant, la fin de la guerre lui donnera une médaille de bravoure pour ce fait. Toujours est il qu’en attendant, une balle ça pique mais ça ne tue pas dans le cas d’Eugène et donc, après une brève immobilisation et des soins médicaux à l’arrière, il repart au front.

74FI63 – Dompierre (Somme). Blessé léger gagnant l’arrière. Au second plan, les ruines du village

Septembre 1916, Embarquement pour Salonique

Depuis le 18 mars 1915, la flotte Franco-Britannique s’est engagée pour forcer les détroits des Dardanelles afin de prendre à revers l’Autriche par la Serbie. C’est lors du War Council que le plan s’édifia et qu’on organisa le corps expéditionnaire, qu’on voulait de 400 000 à 500 000 hommes. En France, l’état-major choisit pour soldats des Coloniaux. Eugène Moureil fut donc l’un d’eux.

Depuis Toulon et Marseille, les Poilus embarquent dans des cargos en direction des Balkans. La durée de la traversée est variable mais lorsque le vaisseau ne se fait pas torpiller par les sous-marins ennemis, on arrive à Salonique en dix jours.

< chanson sur les Poilus d’Orient.

AD85 – 1 Num 415/1-1-138 – vue 33. Correspondance d’Henri Belaud

Dès ce moment-là, l’embarquement pour le front d’Orient éloigne encore davantage les hommes de leur famille et d’une probable fin de guerre. A croire que la liste des combats sur le front Français n’était pas assez longue.

En 1915, l’expédition des Dardanelles, répondait à des fins stratégiques et diplomatiques et fut un réel désastre. Il fallut donc retirer des troupes de l’Ouest pour pallier les dégâts et, les Poilus d’Orient comme on les appel, furent « sacrifiés à la seule idée stratégique conçue par les Alliés« [4] entendre, au profit d’expédition coloniale.

Durant un mois, entre le départ le 8 septembre et la reprise des combats le 13 octobre, le 44e RIC traverse un épisode « pacifique », stationné au camp de Zeitenlick [5].

Camp de Zeitinlick – AD85 – 1 Num 1/98-6

Dès la fin du mois, les longues marches, les bivouacs et la fatigue s’emparent des soldats. Ces derniers reprennent les combats en Macédoine du nord dès le 13 octobre : « Intervenant initialement pour secourir l’armée serbe, les armées françaises et britanniques prennent pied dans une Grèce neutre et entreprennent de relever l’armée serbe et de lancer plusieurs offensives contre la Bulgarie. Dans cet effort, ils sont rejoints par des troupes italiennes, russes puis grecques, par des travailleurs venus des colonies françaises et britannique » [6].

Les Poilus d’Orient, mènent leurs combats sur un terrain montagneux abrupte, sous un climat méditerranéen des plus rude et exposés au paludisme :

« Salonique est bordée de basses vallées débouchant sur la plaine marécageuse qui entoure la ville. Les moustiques sont des ennemis encore plus redoutables que les Bulgares. En juillet 1916, 3 293 soldats sont hospitalisés pour paludisme et 129 en meurent. Ils sont 4 468 hospitalisés en août, 8 144 en septembre, 6 369 en octobre et 5 161 en novembre. Sur ces cinq mois, 619 hommes décèdent de paludisme. En outre, 16 866 hommes doivent être rapatriés car trop sévèrement atteints. La quinine est distribuée dans les rations et les populations locales sont traitées également. Des petits hôpitaux d’évacuation fonctionnent à Itéa ou ­Ekcissou » [7].

AD85 – 1 Num 430 – Papiers Trichet et Daniau : 1 Num 430/10 vue 39.

Les conditions sont extrêmes et les camps insalubres faisant ainsi des ravages : épidémie de scorbut, dysenterie, maladie vénérienne, pas d’eau potable, pas de médicaments, bronchite, typhoïde, bref, c’est l’enfer. On meurt plus de maladie que de la mitraille. Les hommes sont soignés dans des tentes des hôpitaux de campagne ou sur les navires-hôpitaux. Eugène finit ainsi par contracter le paludisme et file à l’hôpital :

« Les blessés qui arrivent à l’hôpital sont aussitôt dévêtus et lavés. Leurs capotes grouillent de poux. La vermine gagne facilement l’équipage si les vêtements ne sont pas brûlés dans les fours où les prisonniers Turcs chargent le charbon à la pelle (…). Aucune nouvelle du front : les blessés sont muets (…) on ignore tout des opérations militaires mais on doit augmenter les lits … ». Miquel, p.203.

Malgré tout, pour ne pas perdre la tête, les Poilus tiennent des journaux dans lesquels ils se défendent mais cette fois psychologiquement, en utilisant l’humour, le cynisme, la dérision. Ils racontent leur quotidien, écrivent des chansons, saluent leurs camarade morts aux combats, parlent de la découverte d’autres cultures, griffonnent des caricatures de leurs ennemis, en somme, ces journaux sont de vraies pépites pour comprendre leurs conditions de vie de soldat.

Le soleil d’or… riant Sous-Titre : journal anti-sceptique. Cote : 4 P res 83.https://argonnaute.parisnanterre.fr/ark:/14707/a011403267967vErJBd/from/a011403267967unUuA8

En octobre 1917, Eugène a maintenant 34 ans, il passe dans l’armée territoriale, chez les « pépères » comme on dit, sans pour autant quitter les Balkans puisque les permissions des Poilus d’Orient peinent à se faire accepter. Jusqu’au 3 juillet 1918, Eugène s’exécute donc comme Poilu. Puis, ce jour d’été 1918, il est rapatrié en France et retrouve ce qui reste du 3e RIC.

Eugène est entièrement démobilisé le 11 mars 1919 et retrouve son foyer Flavois et surtout ses femmes. Mais rien ne sera plus pareil ! Il ramène avec lui ses cauchemars, ses cicatrices et la maladie. Ils déménageront à quelques kilomètres seulement, pour de nouveau louer ses bras aux travaux agricoles. Eugène vivra encore 25 ans avec son épouse avant que celle-ci ne fasse le grand voyage, peu avant la libération de la France en 1944. Il l’a rejoindra deux décennies plus tard.

Eugène, c’était mon Arrière-arrière grand-père !

Pour en savoir +

Découvrir plus de Journaux de l'armée d'Orient, c'est ici.

Les vidéos de Pierre Miquel au sujet de la Première Guerre Mondiale sont disponibles sur la toile et pour en savoir plus sur nos soldats oubliés, voici une petite pépite historique :

Sources :

[1] André Larané., (2019). 3 août 1914. L’Allemagne déclare la guerre à la France consulté sur https://www.herodote.net/histoire/evenement.php?jour=19140803&ID_dossier=36&resume=1. [janvier 2022].

[2] Historique du 3e régiment d’infanterie coloniale pendant la guerre 1914-1919 depuis https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34076947z. [janvier 2022].

[3] Les régiments de Perpignan consulté sur https://www.mairie-perpignan.fr/culture-patrimoine/patrimoine/archives-municipales-camille-fourquet/exposition-guerre-1914-1918-5. [janvier 2022].

[4] MIQUEL, P. (1998). Les poilus d’Orient. Fayard

[5] Historique du 44e régiment d‘infanterie coloniale [du 2 août 1914 au 21 décembre 1918] depuis http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34076953w. [janvier 2022].

[6] SCHIAVON, Max, Le front d’Orient : Du désastre des Dardanelles à la victoire finale 1915-1918, Paris, Tallandier, collection Tempus, 2016, p. 138-153.

[7] René-Hubert, Matthieu. (2016) « Comme un enfant et un fou » : Henri Seyrig dans la Grande Guerre. Syria. DOI: 10.4000/syria.5277

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