
Meurtre à Cabrières
L’histoire se déroule le vendredi 11 février 1814, dans la petite commune rurale et catholique de Cabrières, à quelques lieues de Nîmes et du Pont-du-Gard. Il est 16h30 quand Magdeleine Mazier, épouse Altier, s’inquiète de ne pas voir rentrée sa fille aînée, Marie 17 ans. Cette dernière était partie chercher des sarments à la demande de son père, depuis 10h du matin.
La famille Altier est une famille de cultivateurs. En 1814, l’ancien fief de la famille Roverié, vit de la vente de coupes de bois, de la culture des vignes (Languedoc) et surtout de celle de l’oléiculture. Lorsque le travail est terminé ou lorsqu’il manque, on se retrouve à l’auberge de bezouce ou à Poulx pour boire un verre ou deux.

Partie travailler du côté d’une pièce de vigne Olivette, car moins éloignée de la maison, Marie aurait déjà dû rentrer depuis longtemps. Magdeleine est inquiète et décide alors de traverser le village en demandant aux Cabrièrois s’ils ont vu Marie, mais en vain. Le soleil se couche, Marie ne rentre pas. Le lendemain, l’évènement est assez grave pour que se mobilise tout le village et, sous la direction de la gendarmerie, se poursuivent les recherches; les premières rumeurs vont bon train ! Et si elle avait été enlevé ? C’est ce que l’on ouïe dire dans le terroir …
Seulement, vers 3h de l’après-midi, on découvre un corset dans les vignes et c’est celui de Marie, elle est donc tout près d’ici ! Et puis quelque mètres plus loin, au lieu-dit les Parets, on aperçoit aux abords du bosquet communal, « dans un bouquet de lierres verts », un pied de femme qui dépasse. On soulève alors les branches et tout en faisant un signe de croix, c’est le corps étendu à la renverse de Marie qui est découvert : elle a été assassiné !

Paul Moustardier, Juge de paix du canton (de Marguerittes) et Officier de Police Judiciaire, Bompard père & fils, chirurgien et officier de santé ainsi que Guillaume Gadille, adjoint au Maire, sont alors réquisitionnés pour faire les premiers examens :
« On constate une playe considérable au col au dessous la mâchoire inférieure de la longueur de 9.4 cm, de la largeur de 5.4 cm et de profondeur égale que la tranchée artère, la veine jugulaire et l’artère interne du côté gauche ont été coupées en entier. (…) ce qui parait avoir été fait avec un couteau ou avec tout autre instruments tranchants, n’ayant trouvé aucune autres blessures. Le coup qui a donné la mort, fut dirigé de droite à gauche et a été fait par un gaucher« .
Mais qui a bien pu faire ça ? Qui pouvait bien en vouloir à Marie, cette jeune femme aimée de tous ? Bompard père, précise que comme la cause de la mort est maintenant connue, le corps peut alors être inhumé.


Initialement, Le prêtre aurait dû inscrire Marie dans son registre puisqu’elle devait y figurer avec l’époux que ses parents lui avait choisi, Louis Coudourloux. La publication des bans étaient prévue pour ce 13 février ! D’ailleurs, ce dernier qui, en rentrant de sa journée de travail apprit la nouvelle, en fut « d’autant plus pénétré qu’il devait se marier avec elle et que dans le moment où ladite Marie Altier manqua à sa famille, le bruit courut qu’il l’avait enlevé». Malheureusement, c’est avec la mention « décédée » que le prêtre enregistre le nom de Marie Altier.
Toute la vérité, rien que la vérité
Le 22 février 1814 débutent les auditions de témoins dans une pièce du presbytère de Cabrières. Plusieurs d’entre eux affirment avoir vu deux chasseurs avec leurs chiens rodés non loin du lieu du crime. L’enquête ne révèlera rien sur ces deux inconnus. En revanche, après mûre réflexion, la majorité s’accorde sur un présumé coupable. Bien que transi de la jeune fille, celui-ci connu de tous, a une très mauvaise réputation depuis son enfance, on le dit être la « terreur du pays« .
Le lendemain, c’est au domicile du Juge de paix, à Saint-Gervasy, que les auditions se poursuivent. On signale de nouveau les deux chasseurs mais, la majorité s’accorde également sur un présumé coupable.
Le 21 mars de la même année, d’autres déposants témoignent avoir entendu des cris dans l’après-midi du 11 février dernier. Ces cris aux nombre de trois, paraissaient comme « étouffés » selon Pichoutoune qui se trouvait être à environ une portée de fusil. Charles A. dira lui, qu’il a aperçut la personne sur laquelle se portent les soupçons, vers 11h du matin cette journée-là, celui-ci parlait même à Marie Altier ! C’est dans ce contexte, que Pichoutoune ajoute qu’effectivement, elle l’a également rencontré et qu’il avait même des égratignures sur le visage !
L’assemblée populaire nourrie des ouïes dire de chacun, constitue la majorité dans les accusations d’un des membres du village. Aussi, et pour en avoir le cœur net, on le fait arrêter !
Ainsi, le 14 avril 1814, le dénommé Modeste Rouquette est amené à la maison d’arrêt de Nisme où il séjournera jusqu’à son procès.

Modeste Rouquette a 31 ans au moment des faits. Célibataire et sans enfants, il a jeté son dévolu sur Marie mais celle-ci l’a repoussé et on raconte que la jalousie l’aurait aveuglé.
Fils d’Antoine Rouquette et Marie Mailhan, cultivateurs, il naît peu avant la Révolution, en 1782. Il est le huitième et dernier enfant de la fratrie qui compte au total, six enfants vivants, deux petits hommes n’ayant pas survécu aux tracas de cette fin de siècle.
Modeste est un travailleur agricole. De tempérament bilieux dès l’enfance, il est connu pour sa fureur ayant déjà donné un coup de couteau dans la cuisse de François Biau quelques années auparavant. De plus, peu avant de partir à l’armée, il eut une altercation dans laquelle il taillada à coup de couteau, là encore, les deux poignets du dénommé Gadille, ce qui lui valut une peine d’emprisonnement d’un mois. Enfin, de ce que l’on sait, à son retour d’armée, il eut une querelle avec un berger de Saint-Bonnet qu’il n’hésita pas à assommer. En somme, Modeste est une brute pour les autres et une victime pour lui-même. En effet, au sujet de sa bagarre avec Gadille, il affirma :
« Il est vrai que j’ai eu quelque fois des disputes, il est vrai que j’ai été condamné par le tribunal correctionnel il y a environ 12 ans à raison d’une rixe avec Gaudille et dans laquelle, je n’avais pas tort ! »
La dénégation est le mode de défense dont Modeste use pleinement. Toutefois, sa famille le défend bec et ongles contre tous les villageois.
Enquête du Juge Blanchard
Maintenant que Modeste Rouquette est en prison, le Juge P.D Blanchard procède à une investigation des plus poussée. Et si au début les dépositions sont un peu timides, la suite est incriminante. On raconte que des tentatives d’intimidations auraient été faite envers un des bergers de Cabrières et plus exactement sur Charles Louche. Alors que celui-ci ait déjà été entendu, il n’a, à aucun moment, abordé ces menaces et même, il a plutôt signifier avoir vu les chasseurs mais « ne les a pas reconnu, ne sachant point s’ils étaient les auteurs« . Le Juge Blanchard reconvoque donc Charles Louche.
« Si tu babilles sur mon compte et si tu dis que tu m’as vu ici, je te tuerai »
En apprenant le lieu où l’on découvrit Marie Altier, Charles Louche eu de fort soupçons sur Modeste Rouquette en repensant à l’évènement qui s’était produit en cette journée du 11 février. En effet, alors qu’il gardait son troupeau non loin du quartier des Parets, vers 13h30 son chien se mit à aboyer en se dirigeant vers une petite hauteur où se trouvent plusieurs bouquets de chênes verts. En s’approchant, il vit Modeste Rouqette debout, paraissant vouloir se cacher. En le voyant, ce dernier lui dit aussitôt » Si tu babilles sur mon compte et si tu dis que tu m’as vu ici, je te tuerai« . C’est alors que Charles lui demanda pourquoi il lui fit une telle menace attendu qu’il ne lui avait rien fait ? Et Modeste réitéra sa menace comme unique réponse.
Jusqu’en Novembre de l’année 1814, plusieurs témoins se succèdent face au Juge Blanchard. Modeste Rouquette ne serait pas le seul coupable dans l’histoire, il aurait un complice. Plusieurs villageois sont de nouveau entendus. On fait arrêter certains que l’on jette en prison. Au même moment, dans les villages de Poulx et Cabrières, ça fait beaucoup de bruit ! Monsieur le Juge fait alors rappeler le Sieur Louche mais celui-ci ne se présente pas.
Œil pour œil, dent pour dent
Adélaïde R, épouse de Charles Louche, n’a pas vu rentrer son mari le soir du 23 novembre 1814. Inquiète, elle ne dort pas de la nuit et dès le lever du jour, part en quête auprès des habitants. Ce même 23 novembre, Charles était convoqué à Nisme pour déposer contre Rouquette, cela se savait-il ? Il y a fort à parier. Les recherches durèrent plusieurs jours et suscitèrent de vives interprétations. Le 27 novembre, certains croisent Jean Rouquette dit le Sourd, frère de Modeste, qui, frétillant, allait porter la « bonne nouvelle » à la prison de Nisme : » Lou globe a parti, aman pourta lou lourié en prisounié à Nisme ». Charles Louche a disparu et certain semble s’en enorgueillir.
Le 29 novembre 1814 à 9h du matin, Altier, Maire de Poulx, écrit au Juge de paix du Canton :
on vient de retrouver un cadavre dans un puits situé à environ 800 pas de Poulx en direction de Cabrières, prière de se transporter sur place.
Pendant ce temps, Barthélémy Louche, Garde champêtre et Jean Noé extraient à l’aide d’un gros crochet, le cadavre du puits. Celui-ci est lesté d’une grosse pierre. Avant d’être transporté dans la remise du Sieur Castillon, on procède à sa description que note minutieusement le Greffier :
» Nous avons (trouvé) à un puits dit Le Vieux, situé dans le territoire de la dite commune de Poulx, en distant de sept à huit cent pas, trouvé un cadavre étendu sur le ventre, la face contre terre, les deux jambes liées ensembles avec une corde neuve, à deux gros nœuds, au bord de laquelle était attachée une grosse pierre percée naturellement, d’un poids d’environ 40 kg. Lequel cadavre était vêtu d’une veste marron, d’un gilet de velours de coton rayé, d’un pantalon de toile grise sous lequel était un autre pantalon de futaine unie de couleur olive, sans bas et sans chapeau, ayant une paire de gros souliers aux pieds, avec une cravate au col, serrée à l’ordinaire, une chemise propre, cheveux noirs et longs en queue« .
C’est Charles Louche ! Plusieurs habitants de Poulx, Saint-Gervasy et Cabrières présents sur les lieux, le reconnaissent immédiatement. Les Bompard père et fils, vont maintenant procédé à l’examen du corps qui révèle des contusions sur les jambes faites avec un objet contondant ainsi qu’une compression faite par la main au niveau du col. Mais, l’élément le plus important quant à cet assassinat, est une copie de citation à comparaître devant la cour Royale de Nisme, retrouvée dans la poche de son gilet. De toute évidence, on a voulu le faire taire !
Ni une, ni deux, dès le lendemain est décerné par le Juge Blanchard, un « Mandat d’amener », contre la famille de Modeste Rouqette, on interroge tout le monde !

Finalement, peu après 1h du matin, le Procureur du Roi et le Lieutenant de Gendarmerie emmènent le père Antoine, le frère Jean dit le Sourd et la sœur Rose Rouquette à la prison de Nisme.
Peu après, c’est au tour de Charles Marie Vrignaud de passer devant le Juge d’Instruction, prévenu d’assassinat ou complicité d’assassinat puisque ce dernier a déjà été mis en cause dans le meurtre de Claude Serven, un berger de Poulx, survenu au début 1800.
Jusqu’au mois de mai 1815, on auditionne les témoins et les prévenus tant dans le meurtre de Marie Altier que de Charles Louche. Il en résulte que la famille Rouquette est unie face à l’assemblée populaire qui les accusent et face à la justice. Les frères Rouquette sont connus pour avoir la fâcheuse tendance à se venger dès lors qu’on ne partage pas leur opinion et qui n’ont jamais hésité à menacer et intimider fusil à l’épaule. De plus, ils n’hésitent pas à affirmer qu’ils ne menacent pas mais qu’ils « reprochent simplement, les témoins racontant des faussetés« .
Le jugement et la décision de la Cour Royale de Nisme ont lieu le 29 mai 1815. On retiendra contre Modeste Rouquette, Jean Rouquette dit le Sourd et C.M Vrignaud, les charges d’accusation suivantes : meurtre avec préméditions et complicité d’assassinat sur Marie Altier et sur Charles Louche « attendu que l’assassinat a été commis que pour assurer l’impunité de l’assassinat de Marie Altier« . Ces trois prévenus sont envoyés devant la cour d’Assises et en attendant le procès, emprisonnés à la maison d’arrêt près le tribunal. Les autres mis en cause sont relâchés.

« Sur mon honneur et sur ma conscience, devant Dieu et devant les hommes … »
Les assises ont lieu le 23 octobre 1815 sous la présidence du Juge Bazille. Douze jurés sont tirés au sort sur trente. Le rapport du réquisitoire prononce la culpabilité, les témoins chargent les accusés qui dénient tout en bloc; les Jurés doivent trancher et la déclaration du jury tombe :
- Oui, Modeste Rouquette est reconnu coupable du meurtre de Marie Altier avec les circonstances dans l’acte d’accusation.
- Oui, à la majorité de sept voix contre cinq, Jean Rouquette dit le Sourd est coupable du meurtre de Charles Louche avec les circonstances dans l’acte d’accusation.
- Non, C. M. Vrignaud n’est pas coupable du meurtre de Charles Louche, ni de complicité.
Charles Marie Vrignaud est acquitté, Modeste et Jean Rouquette sont condamnés à la peine de mort. L’arrêt sera exécuté sur la place publique de Nisme.
Place des Carmes, Nisme le 22 décembre 1815

Alors que la foule est amassée sur la Place des Carmes (l’église Sainte-Baudile n’existe pas encore), les frères Rouquette se préparent à traverser le Boulevard des Calquières (aujourd’hui Bd. Amiral Courbet) pour se présenter devant la Veuve rouge et ainsi, payer leurs dettes. Il est 11h du matin lorsque le couperet tombe.

Coupables ou victimes de leurs tempéraments, les frères Rouquette ont été accusés par l’assemblée populaire. À aucun moment, ils n’ont avoué quoi que ce soit ni demandé pardon, comme cela se faisait au XIXe siècle. Modeste et Jean Rouquette ont toujours eu le même discours quant à leurs passés et face aux reproches et inculpations reçu. Comme l’écrit E. Claverie en 1984, » On sait qu’à cette époque l’unique façon d’établir la preuve et de forger la conviction du juge était, outre les aveux réitérés de l’inculpé, le dire des témoins, la confrontation des témoignages à charge et à décharge« .
Tout porte à croire que Modeste ait tué Marie par vengeance dont le mobile était la jalousie amoureuse. Toutefois, selon ses déclarations, il a toujours nié ces faits et plutôt avoué avoir un béguin pour Magdeleine Seignoret, une autre femme de Cabrières qu’il fréquentait depuis son retour de l’armée. Quant à Jean Rouquette dit le Sourd, il ne contesta pas avoir épié la femme de Charles Louche le soir de sa disparition, pour entendre ce qu’il pouvait se dire dans la chaumière, mais aucune preuve ne put réellement établir son passage à l’acte envers le Sieur Louche. En revanche, Jean Rouquette dit Charmant (un cousin éloigné des frères Rouquette), que j’ai volontairement oublié de mettre dans ce récit, fut lui, accusé par plusieurs villageois, d’être le complice de Modeste. Présent sur les lieux du crime, il aurait pleinement participé à attirer Marie Altier dans le bosquet. Seulement, il sut se trouver de « charmants » alibis et fut libéré rapidement.
Sources :
AD30 – Justice criminelle de Nîmes – cour d’assises – dossier de procédure 5 U 2/172.
Claverie Elisabeth. De la difficulté de faire un citoyen : Les «acquittements scandaleux» du jury dans la France provinciale du début du XIXe siècle. In: Études rurales, n°95-96, 1984. La violence. pp. 143-166.